Note d’analyse Les aides aux entreprises en France : de quoi parle-t-on ? On parle beaucoup des aides aux entreprises mais il n’y a de consensus ni sur leur périmètre ni sur leur montant total. Si on retient la définition juridique européenne, les « aides d’État » en France s’élevaient à 45 milliards d’euros en 2022 (ou 25 milliards sans les mesures Covid). Mais ce périmètre exclut des soutiens qui s’appliquent à toutes les entreprises − soit l’essentiel des exonérations de cotisations sociales − sans viser un secteur ou une entreprise en particulier. Publié le : 17/07/2025 Mis à jour le : 12/09/2025 Temps de lecture 68 minutes Télécharger l'édito de Clément Beaune, Haut-commissaire à la Stratégie et au Plan PDF - 219.3 Ko Auteur Mohamed Harfi Expert référent Une seconde approche retient un périmètre plus large, englobant quatre catégories de mécanismes : les subventions, les dépenses fiscales et les aides financières et certaines exonérations de cotisations sociales. Le total des aides aux entreprises en France s’élève alors à près de 112 milliards d’euros. Les subventions recensées en 2023 comptent pour 39,4 milliards, avec trois dispositifs totalisant 9 milliards (aides à l’apprentissage, soutien au photovoltaïque et rénovations du réseau ferroviaire). Les dépenses fiscales représentent 52 milliards d’euros, dont 23 milliards pour l’impôt sur les sociétés et 23 milliards pour les réductions de TVA. Les aides financières, sous forme de prêts, de garanties ou de participations, sont estimées à 17,3 milliards d’euros. Ce périmètre peut être encore élargi. D’autres sources de financement public font l’objet de débat sur leur qualification même d’aides aux entreprises. Sur les 74 milliards d’euros de dépenses sociales recensées en 2023, plus de 70 milliards correspondent aux réductions générales de cotisations sociales, qui s’appliquent à toutes les entreprises. Il y a aussi les aides des collectivités locales (7 milliards) et les subventions européennes (10 milliards). Enfin, certains dispositifs plus controversés ne sont pas inclus, notamment des dépenses « déclassées » par l’administration fiscale (tel le « régime mères-filles », 29 milliards) ou des exemptions d’assiette de cotisations sociales pour des dispositifs comme l’épargne salariale (entre 5 et 14 milliards selon le périmètre retenu). Au-delà de l’estimation du coût total, l’enjeu est la multiplicité des dispositifs, pour la plupart non évalués, avec à la clé un problème d’information et de lisibilité, pour les entreprises comme pour les citoyens, ce qui constitue également un enjeu démocratique. Ce sont cette stabilité et cette transparence que nous proposons d’améliorer en priorité. Les opinions exprimées dans ces documents engagent leurs auteurs et n’ont pas vocation à refléter la position du gouvernement. Partager la page Partager sur Facebook - nouvelle fenêtre Partager sur X - nouvelle fenêtre Partager sur Linked In - nouvelle fenêtre Partager par email - nouvelle fenêtre Copier le lien dans le presse-papier Sommaire Introduction Recenser et estimer les aides aux entreprises : portée et limites Les aides aux entreprises selon la définition européenne Les mesures budgétaires en faveur des entreprises Les aides aux entreprises par la réduction des prélèvements fiscaux Les réductions de cotisations sociales patronales Les aides de l'Europe et des collectivités locales Récapitulatif : près de 112 milliards d'euros d'aides aux entreprises en 2023 Conclusion Introduction Le concept d’aides aux entreprises est devenu courant dans le débat public. Pourtant, il n’existe pas de définition consensuelle ni pour distinguer les interventions publiques en faveur des entreprises qui seraient qualifiées d’aides ni pour en délimiter le périmètre global. Selon les champs retenus, plusieurs estimations sont avancées par différentes institutions : le montant total des aides aux entreprises varient ainsi du simple au double (voir Tableau 1). Tableau 1 – Tableau comparatif des périmètres et des estimations des aides aux entreprises en France (2003-2025) Transcription Fermer la transcription Source : HCSP Il ne s’agit pas ici de trancher le débat sur la définition et sur le périmètre des aides aux entreprises en France, et a fortiori de se prononcer sur le montant pertinent des aides. Mais les difficultés de l’exercice ne rendent pas moins cruciale pour l’action publique l’étude des aides aux entreprises. Du point de vue de l’analyse économique, ces aides visent deux objectifs. D’abord l’efficacité économique : par ce levier, les pouvoirs publics incitent les entreprises à engager des investissements que celles-ci n’auraient pas réalisés sur la seule base de leur rentabilité financière, notamment en période de conjoncture difficile. Ensuite, la redistribution : selon les priorités des pouvoirs publics, les aides viennent soutenir des catégories d’entreprises, des secteurs ou des branches d’activité, des publics ou des zones géographiques. Cette note cherche à expliciter les difficultés liées au recensement des aides aux entreprises, à leur caractérisation ainsi qu’à l’estimation des coûts pour les administrations publiques, en premier lieu l’État. Elle s’efforce de recenser les aides et d’estimer les moyens mobilisés par l’État et les autres acteurs publics. Enfin, elle fournit des estimations des aides aux entreprises selon quatre grandes catégories : les dépenses budgétaires, les réductions de prélèvements fiscaux (ou dépenses fiscales), les réductions de prélèvements sociaux (ou exonérations des cotisations sociales) et les aides financières (participations, prêts et garanties). Compte tenu de leur nombre et de leur diversité − 175 mesures budgétaires, 234 mesures fiscales, 40 mesures d’exonérations de cotisations sociales, etc. −, les aides sont regroupées selon les quatre grandes catégories indiquées. Pour chaque catégorie, des exemples et la liste des principales aides en termes de coûts pour les pouvoirs publics sont présentés pour illustrer la grande diversité des dispositifs et des modalités. Si certaines aides visent explicitement et directement les entreprises, d’autres leur bénéficient indirectement, notamment via les consommateurs (exonérations et taux réduits de TVA), les investisseurs (exonérations fiscales d’investissements dans les PME), les publics ou les zones géographiques (exonérations de cotisations sociales). Pour donner des ordres de grandeur, deux périmètres principaux sont retenus à titre d’illustration. En première lecture, on explore les aides aux entreprises selon le périmètre le plus restreint, qui correspond à la définition juridique des aides d’État par la Commission européenne, axée sur le principe du respect des règles de concurrence. Une seconde approche consiste à retenir un périmètre plus large des aides pour chaque catégorie étudiée : les subventions, les dépenses fiscales et les aides financières (prêts, avances, ou interventions en fonds propres), auxquelles on ajoute les exonérations de cotisations sociales considérées comme des aides d’État par la Commission européenne. Les autres sources de financements publics sont aussi présentées, notamment dans un schéma récapitulatif. Recenser et estimer les aides aux entreprises : portée et limites Un concept mal défini D’abord, qu’entend-on par « aide » ? La définition la plus répandue est celle d’un régime dérogatoire à une norme qui peut être nationale, européenne ou internationale. Ainsi, la réduction de 1,8 point du taux de cotisation patronale d’allocations familiales, pour les salaires inférieurs à 3,5 SMIC, instaurée en 2015 dans le cadre du « pacte de responsabilité et de solidarité », est considérée par tous comme une aide aux entreprises. Mais si cette réduction s’appliquait à l’ensemble des salariés, elle aurait été considérée comme une baisse de taux et on n’aurait pas parlé d’aides. C’est donc le fait même d’exclure les salariés les mieux payés d’une baisse de taux de cotisation qui a accru le total des aides aux entreprises. Ce seul exemple rend compte de la complexité et de l’ambivalence du concept. En outre, en dynamique, on bute rapidement sur des résultats contre-intuitifs : quand on baisse le taux normal d’imposition, les aides, qui sont définies en référence à cette norme, diminuent elle aussi… alors même que la société dans son ensemble a accru son effort en faveur des entreprises en baissant les prélèvements obligatoires qui pèsent sur elles. Le caractère flou de la notion peut aussi être apprécié par le fait que le classement d’un dispositif dérogatoire en dépense fiscale varie avec le temps. Par exemple, le taux réduit de l’impôt sur les sociétés (IS) pour les entreprises réalisant moins de 10 millions d’euros de chiffres d’affaires[1] est-il une aide aux entreprises ? Jusqu’en 2006, dans les documents budgétaires, le gouvernement considérait cet avantage comme une dépense fiscale, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Autre exemple : le « régime des sociétés mères et filiales », dit « régime mères-filles », qui permet aux entreprises de ne pas être imposées sur les produits de participation représentant au moins 5 % du capital d'autres sociétés, engendre une perte de recettes pour l’État de 29 milliards d’euros en 2023. Or cette mesure a été retirée en 2006 de la liste des dépenses fiscales et donc des aides aux entreprises, car ce régime dérogatoire est désormais considéré comme une simple modalité de calcul de l’impôt, devenue une quasi-norme. Dans les définitions internationales, pourtant, c’est plutôt le seuil de 10 % qui est retenu pour définir le contrôle d’une filiale : on pourrait donc considérer, a minima, que le coût induit par cet écart entre 5 % et 10 % est une dépense fiscale. Non seulement le concept apparaît conventionnel, mais il est difficile de déterminer les aides qui bénéficient spécifiquement aux entreprises, car celles-ci emploient des ménages comme salariés, vendent des produits consommés par des ménages, voire sont possédées par des ménages[2]. Quelques exemples illustrent cette difficulté. Le taux réduit pour les travaux d’amélioration, de transformation, d’aménagement et d’entretien portant sur les logements achevés depuis plus de deux ans bénéficie-t-il aux entreprises du secteur du bâtiment ou bien aux ménages ? L’aide correspondante peut bénéficier en totalité aux consommateurs si les prix des produits et des prestations baissent dans les mêmes proportions que la réduction du taux de TVA. Mais elle peut aussi bénéficier entièrement aux entreprises (et à leurs salariés et actionnaires) si celles-ci ne répercutent pas la réduction sur les prix. Qu’est-ce qui justifie de qualifier différemment ce taux réduit de MaPrimeRénov’, qui est considérée comme une aide aux ménages ? L’objectif même de politique publique d’une mesure soulève la question du bénéficiaire effectif. Ainsi, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), rattaché à la Cour des comptes, s’interrogeait dans son rapport de 2010 : l’aide publique aux entreprises de presse est-elle une aide au développement culturel et à l’information du citoyen ou bien une aide aux entreprises pour soutenir l’emploi ? De même, les subventions versées aux organismes HLM pour la construction de logements sociaux ne bénéficient-elles pas, de façon indirecte mais certaine, aux entreprises du bâtiment ? Quid de la participation et de l’intéressement ? Les sommes versées au titre de ces dispositifs sont exemptées de cotisations sociales : sont-elles à l’avantage des salariés qui bénéficient ainsi d’une rémunération supplémentaire ou des entreprises qui, par substitution avec des salaires, peuvent réduire leurs cotisations sociales ? La loi, qui interdit la substitution de ces dispositifs avec les salaires, semble répondre à la question, même si la réalité est plus nuancée. Un périmètre à délimiter Le concept d’aides aux entreprises étant difficile à définir, en délimiter le périmètre implique des choix conventionnels[3]. Au niveau européen, il existe une définition juridique des aides d’État, relative aux règles de la concurrence. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) en donne une définition indirecte, en indiquant parmi les aides celles qui seraient incompatibles avec le marché intérieur[4]. Ce sont la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), par sa jurisprudence, et la Commission européenne[5], par ses communications, qui précisent les contours de la définition. Selon la CJUE, pour apprécier s’il y a aide, il convient « de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions de marché »[6], que cet avantage financier soit direct (subventions, apports en capital, etc.) ou indirect. Au niveau des institutions internationales, les contours de la définition des aides aux entreprises par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont inscrits dans le cadre des règles qui régissent les subventions (Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, SMC, annexé à l’accord GATT de Marrakech de 1994). Selon cet accord, il y a subvention si trois éléments fondamentaux sont réunis : i) une contribution financière ii) de la part des pouvoirs publics ou de tout organisme public du ressort territorial d’un membre iii) qui confère un avantage. La contribution financière est considérée comme une subvention si elle se traduit par une dépense imputée sur le budget d’un acteur public. L’Accord SMC stipule que cette contribution peut prendre différentes modalités : dons, prêts, participations au capital social, garanties de prêt, incitations fiscales, fourniture de biens ou de services et achat de biens. La contribution financière doit aussi confédérer un avantage accordé à une entreprise ou branche de production ou à un groupe d’entreprises ou de branches de production. L’Accord s'applique aux mesures prises par les pouvoirs publics, au niveau central ou aux différents échelons des administrations publiques, ainsi que par des organismes publics, y compris les entreprises publiques. L’OCDE soulignait en 2010 la diversité des périmètres retenus par les pays : « selon la manière dont il définit les dépenses fiscales et la référence, un pays peut modifier sensiblement le nombre et l’importance des dépenses fiscales qu’il recense »[7]. Plus récemment, dans le cadre du projet Quantifying Industrial Strategies (QuIS) sur les politiques industrielles stratégiques, l’OCDE retient les aides directes accordées par le secteur public (État et administrations publiques) aux entreprises industrielles (2022 et 2023)8 qui visent à encourager l’investissement, à améliorer la compétitivité ou à soutenir le développement économique. Les instruments retenus incluent les dépenses fiscales, les subventions, le capital-risque public, les prêts et les garanties. Faute de données disponibles sur les équivalents subvention, les aides financières des neuf pays étudiés au moyen de prêts, de garanties de prêt ou d’investissements en fonds propres ont été estimées selon leurs montants effectifs (méthode des montants notionnels). Les montants ne correspondant pas à un équivalent subvention ne pouvaient pas être agrégés ni comparés aux subventions et aux dépenses fiscales. Enfin, les critères mêmes de l’administration fiscale pour le chiffrage des dépenses fiscales, annexé aux projets de lois de finances, ne sont pas stables. Par exemple, quatre critères (non cumulatifs) étaient retenus pour définir une dépense fiscale entre 1980 et 1998 : les mesures ciblées et les mesures incitatives étaient classées en dépenses fiscales, tandis que les dispositifs dérogatoires anciens, ou qui pouvaient être « rattachés à un principe considéré comme une norme » par la doctrine fiscale, en étaient exclus. Depuis 2009, seul le critère de généralité de la mesure est utilisé : « une disposition concernant la grande majorité des contribuables ou des opérations assujettis peut être considérée comme la norme alors qu’à l’inverse un avantage accordé à une catégorie particulière de contribuables ou d’opérations peut constituer une dépense fiscale »[9]. La diversité des périmètres explique la divergence des estimations Les écarts importants entre les estimations fournies par différentes institutions s’expliquent ainsi en grande partie par la définition et le périmètre retenus[10]. Parmi les plus récentes, quatre peuvent être distinguées. En 2020, dans le cadre d’un rapport sur les politiques industrielles, France Stratégie a estimé le total des interventions économiques en faveur des entreprises à 223 milliards d’euros selon le périmètre le plus large et à 139 milliards selon le périmètre le plus restreint[11]. En 2022, le rapport pour l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), réalisé par des chercheurs de l’université de Lille[12], estime à partir des données de la comptabilité nationale publiées par l’Insee les aides aux entreprises à 157 milliards d’euros. En 2024, l’Inspection générale des finances (IGF), avec un périmètre différent, estime les dépenses consacrées aux aides aux entreprises à 88 milliards euros[13] (105 milliards en comptant une partie des aides locales et européennes). L’estimation de l’IGF n’intègre pas les exonérations générales de cotisations sociales, à l’exception de celles qui sont ciblées, et ne prend pas non plus en compte les dépenses fiscales déclassées. En 2025, le rapport de la commission d’enquête du Sénat[14] sur l’utilisation des aides publiques fournit deux estimations pour l’année 2023. La première à 211 milliards d’euros retient comme périmètre les subventions de l’État (7 milliards), hors compensations pour charges de service public et les sommes assimilées, les aides versées par Bpifrance (41 milliards), les dépenses fiscales et les dépenses fiscales « déclassées » (88 milliards) ainsi que les allègements de cotisations sociales (75 milliards). La seconde estimation, plus restreinte, exclut les interventions financières de Bpifrance, les dépenses fiscales déclassées et les dépenses fiscales sur la TVA, pour un total estimé à 108 milliards d’euros. L’ampleur des écarts entre les estimations n’est pas nouvelle. Au début des années 2010, le CPO comptabilisait 293 mesures fiscales dérogatoires et 91 dispositifs sociaux pour un total des aides estimé à près de 200 milliards d’euros[15], hors interventions financières (participations, prêts, garanties, avances remboursables). Cette estimation intègre toutes les exonérations, générales ou ciblées, ainsi que les dépenses fiscales déclassées. En 2013, la mission Demaël, Jurgensen et Queyranne[16], avec un périmètre limité, a estimé les interventions en faveur des entreprises à 110 milliards d’euros, hors dépenses fiscales déclassées, mais en intégrant d’autres dépenses comme les taxes affectées (formation professionnelle et logement). Le chiffrage du coût pour les administrations publiques présente des limites Deux principales difficultés peuvent illustrer la fragilité des méthodes d’estimation des coûts pour les pouvoirs publics, à périmètre donné. La première tient au nombre important de mesures à chiffrer. Chaque année, l’administration présente dans le projet de loi de finances un chiffrage des 474 mesures fiscales (entreprises et ménages), tout en précisant que ce chiffrage est impossible pour 60 mesures et qu’il relève du simple ordre de grandeur pour 25 autres. Une deuxième difficulté concerne les mesures dont les modalités de mise en œuvre sont autres que la simple subvention ou les exonérations fiscales ou de cotisations sociales. C’est le cas des prêts bonifiés, des garanties de prêt et des participations de l’État dans les entreprises, qui sont des instruments de plus en plus mobilisés. En outre, le manque de calcul économique ne permet pas d’apprécier les effets induits des dépenses fiscales et sociales. En effet, le coût pour l’État ou les administrations de sécurité sociale est mesuré par le simple écart entre les recettes effectives issues de l’application des taux dérogatoires et celles théoriquement issues des prélèvements au taux de la norme des prélèvements obligatoires. Ainsi, l’impact des aides sur le comportement des contribuables n’est pas pris en compte. Or, en l’absence de mesures d’aide, l’application du taux « normal » peut induire moins de consommation, d’investissement, de dépenses de R & D, voire de volume d’emploi ou de revenus et donc moins de recettes fiscales ou sociales. L’estimation du côté des recettes liées à la mesure dérogatoire elle-même ne prend pas en compte les effets induits, notamment en termes d’amélioration de l’emploi, de la compétitivité et de l’attractivité du territoire. Ainsi, l’estimation du coût des aides aux entreprises est en général une borne supérieure du coût réel pour les finances publiques, une fois pris en compte les effets induits par les aides. Cette note se propose de recenser les différents périmètres possibles sans prendre en compte l’incidence des aides, donc en considérant comme aides aux entreprises les dispositifs qui leur bénéficient en premier recours, ni les changements de comportement économique. Pour dresser un état des lieux, les aides aux entreprises sont présentées d’abord selon la définition de la Commission européenne, restreinte aux seules aides d’État (autorisées). Dans un second temps, à partir des données budgétaires et d’autres sources, est présenté un recensement des soutiens de l’État et des autres acteurs publics, en 2023. Compte tenu du nombre important de dispositifs, ces présentations, illustrées par des exemples, sont structurées selon quatre grandes catégories : les dépenses budgétaires, les réductions de prélèvements fiscaux (dépenses fiscales), les réductions de prélèvements sociaux (exonérations des cotisations sociales) et les aides financières (participations, prêts et garanties). Les aides aux entreprises selon la définition européenne L’aide est appréciée au regard de sa compatibilité avec la concurrence et le bon fonctionnement du marché intérieur Selon le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 107 § 1), une mesure de soutien aux entreprises constitue une aide d'État si elle est accordée par un État membre ou au moyen de ressources publiques et qu’elle fausse ou menace de fausser la concurrence, favorise certaines entreprises ou certaines productions et affecte les échanges entre États membres. Selon la Cour de justice de l’UE, il s’agit d’une aide d’État si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique qu’elle n’aurait pas obtenu dans les conditions de marché. Cet avantage peut être financier direct (subventions, apports en capital, etc.) ou indirect s’il est ciblé, comme des exonérations fiscales ou sociales ciblées, une garantie, voire une conversion de dettes en capital. Toutes les sources publiques de financement sont concernées, notamment les collectivités locales, les entreprises publiques, les ressources issues de contributions obligatoires d’entités privées (imposées par l’État et gérées en application de législations ou réglementations, comme certaines cotisations sociales et taxes affectées), ou issues de l’Union européenne ou d’institutions financières internationales si les autorités nationales ont un pouvoir discrétionnaire sur leur utilisation, telles que les fonds européens structurels et d’investissement (FESI)[17]. Le principe général, selon lequel les aides publiques sont incompatibles avec le marché intérieur, connaît de nombreuses exceptions. En effet, les aides aux entreprises peuvent être déclarées compatibles par la Commission sur le fondement de dérogations prévues par les textes (articles 107 § 2, 107 § 3, 106 § 2 TFUE). La France, comme les autres États membres, doit notifier à la Commission tout projet qui instituerait ou modifierait des aides aux entreprises. L’analyse sur le fondement de ces articles du Traité conduit la Commission à se prononcer sur la compatibilité et donc sur l’octroi des aides. Trois grandes catégories d’aides aux entreprises sont considérées comme compatibles avec les règles européennes : les aides qui sont en principe compatibles avec le marché intérieur et qui doivent être notifiées à la Commission (article 107 § 2, TFUE). C’est le cas notamment des aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels ou des aides compensant les dommages provoqués par des calamités naturelles ou autres événements extraordinaires ; les aides qui peuvent être déclarées compatibles par la Commission européenne (article 107 § 3, TFUE). Il s’agit notamment des aides destinées à promouvoir les projets d’intérêt européen commun, de celles en faveur de certaines activités économiques ou de certaines régions, de la culture et la conservation du patrimoine ainsi que d’autres catégories d’aides déterminées par décision du Conseil sur proposition de la Commission. Parmi ces aides réputées compatibles, certaines sont exemptées de notification à la Commission lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’un des régimes européens d’exemption, appelés « règlements généraux d’exemption par catégorie (RGEC) » ; des aides qui peuvent déroger aux règles du traité si cette dérogation est indispensable pour permettre à une entreprise d’accomplir une mission d’intérêt général (article 106 § 2, TFUE). Les aides d’État ici recensées sont donc des aides légales et autorisées par la Commission sur le fondement juridique des dérogations prévues par le TFUE. Les aides d’État en France s’élèvent à 45 milliards d’euros en 2022 Selon la définition juridique de l’UE, et à partir des données publiées dans son rapport en 2024[18], la Commission européenne estime les aides d’État en France à 45 milliards d’euros en 2022. La France, qui représente 19,6 % du total des aides d’État des 27 pays de l’UE (228 milliards), occupe la deuxième place après l’Allemagne (73,67 milliards, soit 32,2 %). La France et l’Allemagne représentent à elles seules la moitié du total des aides d’État de l’UE, suivies par l’Italie (26,61 milliards d’euros, 12,1 %) et l’Espagne (17,12 milliards, 7,5 %). Proportionnellement au PIB, la France occupe la troisième place (1,7 % du PIB), derrière l’Allemagne (1,9 %) et la Hongrie (2,09 %). Suivent, parmi les principales économies, l’Italie (1,4 % du PIB), l’Espagne (1,27 %) et les Pays-Bas (1 %) (voir Graphique 1). Graphique 1 – Les aides d’État dans l’Union européenne en 2022, en pourcentage du PIB Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données du State Aid Scoreboard 2023, Commission européenne, avril 2024 Si on excepte les aides liées à la crise du Covid et à la guerre en Ukraine, le total des aides s’élève à 25 milliards d’euros en France (24,77 milliards), sur un total de 112 milliards pour les 27 pays de l’UE. La France occupe la deuxième place derrière l’Allemagne, mais avec un écart faible (25,33 milliards), suivie de l’Italie (9,1 milliards), de l’Espagne (8,1 milliards) et des Pays-Bas (6,2 milliards). En proportion du PIB, la France occupe la cinquième place à 0,94 % (voir Graphique 2). L’Allemagne est à la quinzième place (0,65 %), suivie notamment par les Pays-Bas (0,64 %), l’Espagne (0,6 %) et l’Italie (0,47 %). Graphique 2 – Les aides d’État dans l’Union européenne, hors soutiens liés aux crises récentes, en 2022, en pourcentage du PIB Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données du State Aid Scoreboard 2023, Commission européenne, avril 2024 Sur longue période, et hors crises récentes, les aides d’État en France ont augmenté de 57 % sur la période 2012- 2019, soit +0,2 point de PIB, passant respectivement de 0,74 à 0,94, soit 25,01 milliards en 2019 contre 15,94 milliards en 2012, à prix constants (voir Graphique 3). Toutefois, cette croissance a été moins rapide que celle du total des aides d’État en Europe, qui a quasiment doublé sur cette période[19], notamment les aides de l’Allemagne (+246 %) Graphique 3 – Les aides d’État en France, hors soutiens liés aux crises récentes, 2002-2022, en pourcentage du PIB Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données du State Aid Scoreboard 2023, Commission européenne, avril 2024 Une grande diversité des instruments mobilisés Les aides d’État, en France comme dans les autres pays de l’UE, passent par une diversité d’instruments. Les données financières présentées dans le tableau de bord annuel des aides d'État ne représentent pas le montant nominal des aides octroyées. Elles mesurent l’avantage économique dont bénéficie l’entreprise. Cet avantage dépend du type d’instrument utilisé. Si les subventions correspondent généralement à la dépense budgétaire, les autres instruments nécessitent des calculs pour en déterminer le coût budgétaire, voire le montant en équivalents subvention dans le cas des prêts par exemple. Le Graphique 4 présente les aides d’État en France en 2022 selon quatre grandes catégories d’instruments : les subventions, les aides financières, les aides fiscales et les exonérations fiscales. Graphique 4 – Les aides d’État en France par instruments de financement, en 2022 (en milliards d’euros) Transcription Fermer la transcription Lecture : selon la définition européenne, en 2022, les entreprises françaises ont reçu 15,9 milliards de subventions, 12,6 milliards si on excepte l’aide liée au crises récentes du Covid et de la guerre en Ukraine. Source : HCSP, données du State Aid Scoreboard 2023, Commission européenne, avril 2024 Les subventions s’élèvent à 15,94 milliards d’euros en 2022. Elles sont versées principalement dans le cadre de différents régimes exemptés de notification à la Commission européenne. C’est le cas des aides à la décarbonation de l’acier, notamment les subventions accordées à la société ArcelorMittal (158 millions d’euros versés en 2023). La moitié des subventions s’explique par la subvention à La Poste liée à « la réforme du mode de financement des retraites des fonctionnaires de l’État rattachés à La Poste », considérée comme une aide d’État selon la définition de la Commission européenne (4,234 milliards d’euros) ; et par les pensions de « retraites France Télécom » qui correspondent à la prise en charge par l’État des pensions des fonctionnaires de cette entreprise (2,705 milliards en 2022). Certaines subventions n’ont pas pour destinataire direct une entreprise, comme « l’aide à la protection sociale complémentaire des agents de l'État » (13,4 millions d’euros en 2022). Les aides financières représentent un montant total de 17,3 milliards d’euros. Il s’agit notamment de prêts garantis par l’État comme le « PGE Résilience », dispositif dont l’équivalent subvention est estimé en 2022 à 1,107 milliard, et de prêts bonifiés ciblés sur les activités d’innovation (mobilisés par Bpifrance). Il s’agit aussi d’opérations en capital comme la recapitalisation d’Air France KLM lors des récentes crises (3,593 milliards pour la première opération en 2022[20]). Les aides fiscales s’élèvent à 8,4 milliards d’euros. Elles prennent différentes modalités. Il peut s’agir de réductions de taxes concernant l’énergie, comme le « tarif réduit d’accise sur les énergies applicable aux consommations de gazole de l’activité de transport routier de marchandises » (1,247 milliard) et le « tarif réduit d’accise sur les énergies applicable aux consommations des activités de travaux agricoles et forestiers (gazole, gaz de pétrole liquéfié combustible, gaz naturel combustible) » (1,359 milliard). De crédits d’impôt comme le « crédit d’impôt pour les dépenses de production en France d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles étrangères » (115,6 millions) et le « crédit d’impôt Innovation » (300 millions). Ou enfin d’aides indirectes aux entreprises, par exemple la « modification du dispositif IR-PME de réduction d’impôt sur le revenu (IR) pour la souscription au capital de PME par l’intermédiaire de fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) et de fonds d’investissement de proximité (FIP) ou par investissements directs dans les entreprises solidaires d’utilité sociale » (146 millions). Certaines taxes affectées sont considérées comme aides d’État par la Commission européenne, par exemple la « taxe affectée au financement de l’amélioration de l’espèce équine et de la promotion de l’élevage, de la formation dans le secteur des courses et de l’élevage chevalin ainsi que du développement rural » (69,8 millions). Les exonérations sociales s’élèvent en 2022 à 3,2 milliards d’euros. Ce faible montant pour les exonérations de cotisations sociales considérées comme aides d’État s’explique par l’exclusion de la totalité des exonérations générales de la définition retenue par la Commission européenne, soit plus de 70 milliards d’euros en 2023 (voir infra). Selon les règles de la concurrence au niveau européen, du fait de leur caractère général, elles ne favorisent pas une entreprise particulière par rapport à une autre concurrente de même structure salariale. Le périmètre correspondant à la définition européenne des aides d’État ne couvre pas l’ensemble des aides aux entreprises. Se trouvent exclues de nombreuses aides qui sont présentées ci-dessous, selon les mêmes quatre grandes composantes : les dépenses budgétaires, les réductions de prélèvements fiscaux (dépenses fiscales), les exonérations de cotisations sociales et les aides financières (participations, prêts et garanties). Les mesures budgétaires en faveur des entreprises Il s’agit des mesures budgétaires structurelles ou conjoncturelles inscrites dans les budgets des différents programmes et missions de l’État. Les aides budgétaires en 2023 ont été recensées à partir du projet de loi de finances pour 2025 (crédits de paiement exécutés en 2023). Par ailleurs, pour éviter les doubles comptes, les données ont été croisées avec celles des documents de politique transversale, notamment en ce qui concerne Bpifrance et l’Agence des participations de l’État. On dénombre 175 mesures budgétaires bénéficiant aux entreprises, pour un coût de 39,4 milliards d’euros − ou 45,1 milliards, soit 203 mesures, si on inclut les 28 mesures d’exonérations de cotisations sociales compensées par l’État à la Sécurité sociale. Ces dépenses sont très concentrées puisque 11 mesures à plus de 1 milliard d’euros représentent la moitié du coût total (21,6 milliards). En revanche, plus de 100 mesures à moins de 100 millions d’euros chacune totalisent une dépense budgétaire de seulement 2,7 milliards (voir Graphique 5). Graphique 5 – Les dépenses budgétaires bénéficiant aux entreprises en 2023 par coût et par nombre Transcription Fermer la transcription ε = montant inférieur à 0,5 M € ; nc = montant non calculé. Lecture : les 11 dépenses budgétaires dont le coût unitaire est supérieur à un milliard représentent un coût total de 21,6 milliards d’euros. Source : PLF pour 2025, retraitement HCSP La grande diversité des mesures traduit la pluralité des finalités présentées dans les programmes budgétaires. Ces mesures peuvent être générales en soutien à des politiques publiques, comme les aides à l’emploi des jeunes (« aides à l’embauche d’apprentis », 3,5 milliards d’euros), le soutien au transport ferroviaire (« régénération ferroviaire » pour 2,7 milliards), les actions du plan France 2030 (« Industrialisation et redéploiement », 1,4 milliard). D’autres mesures sont des subventions à des entreprises dans le cadre de régime exempté de notification à la Commission européenne, comme les aides à la R & D en matière d’environnement (par exemple via les financements de l’ADEME). D’autres encore constituent des compensations pour charges de services publics (par exemple, la compensation de la mission de service universel postal, 400 millions d’euros). D’autres enfin sont plutôt sectorielles ou visent certaines activités comme le « soutien aux professionnels du livre » pour 27,3 millions ou le « soutien aux professionnels du secteur de la musique » pour 26,7 millions. Le soutien à l’innovation passe, outre les actions de France 2030, par d’autres mesures ciblées comme le « concours d’innovation » (107 millions) et l’appui à la « mission French Tech » (11 millions). Les aides aux entreprises par la réduction des prélèvements fiscaux Les prélèvements fiscaux sur les entreprises s’opèrent selon des principes généraux du droit fiscal, qui constituent la norme. Des dérogations, introduites par des dispositions législatives ou réglementaires, se traduisent pour les entreprises par un allègement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme. Pour l’État, elles entraînent des pertes de recettes. Elles sont listées et chiffrées comme des dépenses fiscales par l’administration fiscale et annexées aux projets de loi de finances[21]. Parmi les 474 dépenses fiscales qui figurent dans le PLF pour 2025, 234 mesures sont considérées par l’administration fiscale comme bénéficiant aux entreprises. Il s’agit de 106 mesures liées aux modalités de calculs de l’impôt payé par les sociétés, 41 taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée, 36 mesures de réduction de taxes sur les énergies (accises) et 51 mesures de réductions d’impôts locaux, de droits d’enregistrement et autres droits. Les dépenses fiscales en faveur des entreprises Les impôts des entreprises font l’objet d’aménagements via de nombreuses mesures dérogatoires. Ces dernières poursuivent des objectifs de politique publique, notamment cibler un public particulier (emploi des jeunes, par exemple) ou une zone géographique (zones franches urbaines), ou bien elles visent à inciter les entreprises à adopter ou à amplifier un comportement spécifique (faire plus de recherche et développement). Tableau 2 – Les dix aides budgétaires aux entreprises en France en 2023, dont la dépense est supérieure à un milliard d’euros, hors prêts, participations et prêts garantis par l’État (PGE) Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données PLF 2025 Il en résulte des diminutions de recettes pour les administrations publiques estimées à 23 milliards d’euros en 2023 au titre de l’impôt sur les sociétés (IS). Le coût total est particulièrement concentré : les 5 mesures principales − sur 106 − représentent 16,38 milliards d’euros et 71 % du total (voir Tableau 3). La première dépense est le crédit d’impôt recherche (CIR), avec 7,25 milliards d’euros, suivi du dispositif « détermination du résultat imposable des entreprises de transport maritime en fonction du tonnage de leurs navires » (5,61 milliards), de la « taxation au taux de 10 % des revenus issus de certains actifs de propriété industrielle » et du « crédit d’impôt en faveur de la compétitivité et de l’emploi » (CICE), en cours d’extinction sous cette forme (respectivement 1,05 et 1,01 milliard). Par ailleurs, 50 dispositifs ont un coût total inférieur à 100 millions d’euros, et la moitié d’entre eux ont même un coût total inférieur à 10 millions. Tableau 3 – Les dépenses fiscales supérieures à un milliard d’euros, liées aux exonérations, crédits d’impôt et aux modalités particulières de calcul de l’impôt sur les sociétés en 2023 (en millions d’euros) Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données PLF 2025 Ce coût total de 23 milliards d’euros pour les aides fiscales au titre de l’IS constitue le bas de la fourchette : plusieurs dépenses, chiffrées par l’administration fiscale, ne sont pas prises en compte. Il y a d’abord les « dépenses déclassées ». En effet, en 2023, 57 milliards de pertes de recettes pour l’État liées à des modalités de calcul de l’impôt sur les sociétés sont chiffrées par l’administration fiscale, mais sont considérées comme des « dépenses fiscales déclassées ». Parmi ces modalités, deux représentent à elles seules 45 milliards d’euros (voir Tableau 4). Tableau 4 – Les principales dépenses fiscales déclassées bénéficiant aux entreprises en 2023 (en millions d’euros) Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données PLF 2025 La première vise à éliminer les doubles impositions. C’est le « régime des sociétés mères et filiales », avec non-imposition, sur option, des produits de participations représentant au moins 5 % du capital d'autres sociétés. Ce « régime mères-filles » représente à lui seul 29 milliards d’euros en 2023. L’administration fiscale justifie ce déclassement par l’alignement de la France sur des dispositions équivalentes chez ses principaux partenaires étrangers. Toutefois, le taux de 5 % est en dessous du seuil fixé à 10 %, notamment pour caractériser un investissement direct étranger par la Banque de France comme au niveau international par l’OCDE et le FMI. Ce seuil de 10 % permet d’apprécier la capacité d’une entreprise à prendre le contrôle ou à exercer une grande influence sur la gestion d’une filiale. En deçà, les participations seraient sans contrôle effectif sur les filiales et relèveraient davantage de placements boursiers. La Cour des comptes notait par ailleurs que, même si on considère que les grands principes de ce régime relèvent de la norme de référence, certaines de ses dispositions particulières constituent en elles-mêmes des dépenses fiscales[22]. La seconde disposition en tête des « dépenses déclassées » concerne l’intégration fiscale des résultats des groupes de sociétés françaises, dont la dépense fiscale est estimée à 16 milliards d’euros. La Cour des comptes estime que les dispositions de ce régime, qui vont au-delà de la stricte compensation des pertes et profits au sein d’un groupe, pourraient être réintégrées à la liste des dépenses fiscales (elles en ont été retirées en 2005). Il y a aussi le cas des « taxes affectées ». Par exception au principe de l’universalité budgétaire, certaines ressources fiscales sont affectées explicitement à des personnes morales autres que l’État, en application de l’article 2 de la LOLF. Parmi les taxes affectées qui concernent directement les entreprises, seules quatre sont retenues dans le rapport de l’IGF23, pour un coût estimé en 2023 à 1,478 milliard d’euros. Elles concernent notamment les organismes techniques ou professionnels (les centres techniques industriels, par exemple le centre technique de l’industrie des papiers, cartons et celluloses, et les comités professionnels du développement économique), les organismes consulaires, en particulier les chambres de commerce et d’industrie, les chambres des métiers et de l’artisanat ou encore le Centre national du cinéma et de l’image animée. La Commission européenne retient quant à elle en 2022 une seule taxe affectée comme aide d’État, celle qui bénéficie au secteur des courses et de l’élevage chevalin[24]. Se pose dès lors la question d’élargir le chiffrage à d’autres taxes affectées, par exemple celles dont les ressources transitent par France Compétences pour le financement de l’alternance et la formation professionnelle (estimées à 10,73 milliards d’euros en 2023). Au total, les dépenses fiscales s’élèvent donc à 23 milliards d’euros pour l’impôt sur les sociétés, est minorée compte tenu des nombreuses dépenses fiscales déclassées et des taxes affectées non prises en compte. Certaines dépenses déclassées, comme le régime mères-filles et l’intégration fiscale, font l’objet de débats politiques25 et suscitent des réserves de la part de la Cour des comptes quant à leur exclusion de la liste des dépenses fiscales[26]. Les réductions de TVA On dénombre 41 mesures de TVA classées par l’administration fiscale comme des dépenses fiscales bénéficiant aux entreprises. Leur coût pour l’État s’élève à 11,1 milliards en 2023. Mais ce montant est minoré car, depuis le PLF 2024, le document budgétaire estime les coûts qui correspondent à l’impact restant à la charge de l’État après transfert de l’équivalent de 12 milliards aux collectivités territoriales et aux administrations de sécurité sociale. Cette comptabilisation a fait l’objet de fortes critiques émises par la Cour des comptes[27]. En effet, en intégrant ces transferts, les dépenses fiscales liées à la TVA sont doublées, à 23,1 milliards d’euros en 2023 (selon le chiffrage du PLF pour 2025). Ces 12 milliards ne sont pas comptabilisés dans les aides de l’État par l’administration fiscale, alors qu’ils devraient l’être. Dans nos estimations, nous les prenons en compte dans le total des dépenses fiscales liées à la TVA. Les cinq premières mesures représentent à elles seules les deux tiers de la dépense, soit 15,9 milliards d’euros (voir Tableau 5). Il s’agit notamment du « taux de 10 % pour les travaux d’amélioration, de transformation, d’aménagement et d’entretien, autres que les travaux de rénovation énergétique soumis au taux de 5,5 % en application de l’article 278-0 bis A, portant sur les logements achevés depuis plus de deux ans », pour 4,53 milliards d’euros, et du « taux de 10 % pour la restauration commerciale, consommation sur place et vente à emporter en vue d'une consommation immédiate », pour 4,21 milliards. Tableau 5 – Les dépenses fiscales liées à la TVA et bénéficiant aux entreprises dont le coût est supérieur à un milliard d’euros en 2023 (en millions d’euros) Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données PLF 2025 Par ailleurs, 22 taux de TVA réduits ne sont pas considérés comme des dépenses fiscales car, selon l’administration fiscale, ils contribuent « à rendre supportable cet impôt sur la consommation » ou à « préserver l’accès de tous à certains produits ou services ». C’est le cas du « taux de 5,5 % sur l’eau, les boissons non alcooliques, les produits destinés à l’alimentation humaine » qui fait l’objet de débats, notamment sur la proposition de taxer davantage les boissons sucrées pour des raisons de santé publique. Autre exemple, le taux réduit de 2,1 % applicable « aux médicaments remboursables ou soumis à autorisation temporaire d’utilisation et aux produits sanguins ». Si on prenait en compte l’ensemble des taux réduits de TVA, les pertes de recettes fiscales s’élèveraient alors à 47 milliards d’euros, soit le double du montant estimé des seules dépenses fiscales de TVA classées dans le PLF 2025[28]. Ainsi, au total, les aides aux entreprises via les réductions de TVA s’élèvent à 23 milliards d’euros, soit le bas de la fourchette (et jusqu’à 47 milliards si on intègre la totalité des taux réduits de TVA). Les mesures de réduction de l’accise sur les énergies et des impôts locaux Les énergies sont soumises à différentes taxes (accises) réparties en 14 catégories fiscales. On compte 36 mesures de réduction de ces taxes via des dérogations au tarif normal qui bénéficient aux entreprises. Leur coût est estimé à 4,657 milliards d’euros en 2023, selon le chiffrage du PLF pour 2025. Les six premières mesures représentent plus de 93 % de la dépense fiscale totale de l’accise sur les énergies, soit 4,34 milliards d’euros (voir Tableau 6). C’est le cas de tarifs réduits, notamment au bénéfice de certains secteurs d’activité comme le « tarif réduit, remboursement, pour les gazoles utilisés comme carburant par les véhicules routiers de transport de marchandises d’au moins 7,5 tonnes » (1,27 milliard), des tarifs particuliers au bénéfice de certains produits, par exemple le tarif réduit des gazoles non routiers autres que celui utilisé pour les usages agricoles (1,24 milliard) et le tarif réduit pour les gazoles, les fiouls lourds et les gaz de pétrole liquéfiés utilisés pour les travaux agricoles et forestiers (1,135 milliard) ou encore des modulations géographiques. Les variations du coût budgétaire de certaines mesures peuvent être très importantes. Elles sont notamment liées au contexte de crise économique et énergétique. C’est le cas des taux réduits pour l’électricité consommée par des installations industrielles exploitées ou situées dans des entreprises électro-intensives[29], dont la dépense fiscale est tombée à 5 millions d’euros en 2023 en raison de l’abaissement du taux normal lors de la crise, alors qu’ils sont budgétés à près de 1 milliard d’euros dans le PLF 2025. Tableau 6 – Les dépenses fiscales liées à l’accise sur les énergies d’un montant supérieur à 150 millions d’euros et bénéficiant aux entreprises en 2023 (en millions d’euros) Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données PLF 2025 Graphique 6 – Les dépenses fiscales bénéficiant aux entreprises en 2023 par coût et par nombre Transcription Fermer la transcription ε = montant inférieur à 0,5 M € ; nc = montant non calculé. Lecture : les 11 dépenses budgétaires dont le coût unitaire est supérieur à un milliard représentent un coût total de 21,6 milliards d’euros. Source : PLF pour 2025, retraitement HCSP Par ailleurs, certaines mesures d’allègement applicables en matière d’impôts directs locaux, de droits d’enregistrement et de timbre sont considérées comme dérogatoires par rapport à la norme fiscale. En 2023, 51 d’entre elles sont classées par l’administration fiscale comme bénéficiant aux entreprises, dont 26 seulement sont chiffrées. Leur coût est estimé à 1,012 milliard d’euros en 2023, selon le chiffrage du PLF pour 2025. C’est le cas de « l’exonération de la cotisation minimum de cotisation foncière des entreprises (CFE) des redevables réalisant un très faible chiffre d’affaires », des « réductions de taxe sur activités polluantes et malus » et de la « réduction des émissions, ou de la puissance administrative, prises en compte dans le barème du malus à hauteur de 80 grammes par kilomètre, ou de 4 CV, pour les véhicules comportant au moins 8 places assises dont disposent les personnes morales ». Des aides très concentrées et un poids significatif L’ensemble des aides fiscales aux entreprises s’élèvent à 52 milliards d’euros en 2023 pour les finances publiques − et à un peu plus de 40 milliards en excluant les 12 milliards de TVA concernant les collectivités territoriales et les administrations de sécurité sociale évoqués et non pris en compte par l’administration fiscale. Elles représentent 16,1 % du total des recettes fiscales nettes de l’État. Le poids des aides fiscales relativement aux rendements nets des différents impôts est de 40,7 % du montant de l’IS net, 24 % de la TVA et 28 % des accises sur l’énergie (voir Tableau 7). Ces proportions représentent le bas de la fourchette car certaines dépenses fiscales déclassées et des taxes affectées avec des volumes financiers importants ne sont pas prises en compte dans les dépenses fiscales alors même qu’elles font l’objet de débats politiques et de réserves, notamment de la part de la Cour des comptes. Tableau 7 – Poids des dépenses fiscales en faveur des entreprises par rapport au rendement net des impôts Transcription Fermer la transcription * Depuis le PLF 2024, les coûts de TVA indiqués par l’administration fiscale ne correspondent plus aux diminutions de recettes de TVA mais à l’impact restant à la charge de l’État après transferts (de 12 milliards en 2023) aux collectivités territoriales et aux administrations de sécurité sociale. En intégrant ce montant, la part dans les recettes nettes de TVA passe à 24,3% au lieu de 11,7% et le poids des dépenses fiscales totales à 16,1% au lieu de 12,4%. Note : les montants des dépenses fiscales correspondent au minimum de la fourchette d’estimation (voir le paragraphe sur les dépenses fiscales). Source : HCSP, données PLF 2025 Les réductions de cotisations sociales patronales Les allègements de cotisations sociales bénéficiant aux entreprises, qui regroupent 40 mesures, représentent un coût total de 73,668 milliards d’euros en 2023, selon le PLFSS pour 2025. Dix mesures, dont le coût unitaire est supérieur à 700 millions, représentent 96,4 % du total des dépenses sociales, soit presque 71 milliards d’euros (voir Tableau 8). Tableau 8 – Les dix premières dépenses sociales liées aux allégements et aux exonérations de cotisations sociales bénéficiant aux entreprises Transcription Fermer la transcription Source : HCSP, données PLFSS 2025, Annexe 4 Ces allégements de cotisations sociales comprennent deux catégories. Les allégements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires regroupent 7 mesures pour un coût total de 65,4 milliards d’euros en 2023. Deux mesures représentent 80 % de ce coût : la réduction générale dégressive jusqu’à 1,6 SMIC, qui permet d’exonérer au niveau du SMIC la totalité des cotisations et contributions patronales obligatoires prélevées sur l’ensemble des salaires (26,84 milliards) ; et la réduction de 6 points des cotisations d’assurance maladie sur toutes les rémunérations inférieures à 2,5 SMIC versées par les employeurs éligibles à la réduction générale dégressive (26,71 milliards). La seconde catégorie rassemble les mesures ciblées par l’État, notamment 33 mesures d’exonérations ciblées sur certains publics, certaines zones géographiques ou activités économiques, pour un montant total de 8,28 milliards d’euros en 2023. Il s’agit par exemple de la « déduction patronale sur les heures supplémentaires, dite TEPA » (844 millions), de la « réduction de cotisations sociales patronales pour les entreprises implantées en outre-mer » (environ 1 milliard) et de « l’exonération sur les heures supplémentaires - part salariale » (2,28 milliards). Dans son rapport de 2024, la Cour des comptes s’interroge sur les niches sociales que représentent les exemptions d’assiette, dont certaines sont considérées comme des compléments de salaire (participation, intéressement et protection sociale complémentaire par exemple)[30]. La question se pose alors d’élargir l’estimation aux autres exonérations et exemptions portant sur les assiettes, même si l’imputation de ces aides aux entreprises est discutable. Sous l’hypothèse forte que ces compléments de rémunération auraient été versés à l’identique en l’absence d’exonération, ces dispositifs produiraient des pertes de cotisations sociales. Le bas de la fourchette serait de l’ordre de 5 milliards d’euros, soit le coût de quatre dispositifs de « participation financière et actionnariat salarié » et de trois dispositifs « indemnités de rupture » (respectivement 3,7 milliards et 1,1 milliard selon les estimations des administrations de Sécurité sociale). Le haut de la fourchette correspondrait à l’ensemble des exonérations d'assiette, soit 14 milliards d’euros. Au total, si l’on considère la définition des aides d’État, qui retient une partie des exonérations ciblées, les exonérations s’élèvent à 3,2 milliards d’euros en 2022. Le rapport de l’IGF[31], en s’appuyant sur une définition proche de celle des aides d’État, retient l’ensemble des exonérations ciblées, avec un montant de 8,28 milliards d’euros en 2023. Si on considère l’ensemble des exonérations générales et ciblées ainsi que le bas de la fourchette des exemptions d’assiette, les aides aux entreprises seraient alors de 78,8 milliards d’euros. Leur poids dans le total des recettes des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) est de 12,8 %. S’il reste inférieur au ratio maximal de 14 % prévu par l’article 21 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques 2018-2022, ce ratio s’établirait à 13,8 % selon le PLFSS 2024 qui intègre l’ensemble des exonérations d’assiette. Les prêts, les participations et les garanties Une difficulté majeure du chiffrage des aides aux entreprises tient à la détermination de l’équivalent subvention des modalités spécifiques, comme les prêts, les garanties et les participations au capital des entreprises. Par exemple, faut-il comptabiliser le montant global des prêts en considérant que c’est ce qui bénéficie effectivement aux activités des entreprises ? Ou se limiter aux seuls coûts pris en charge par les pouvoirs publics ? Dans la seconde option, au-delà des intérêts et des frais de gestion, il faudrait mesurer l’écart entre le taux bonifié dont bénéficie l’entreprise et celui qu’elle aurait obtenu sur le marché ; mais prendre aussi en compte les risques liés au non-remboursement des prêts. Même si aucun paiement n’a été effectué par l’État, dans le cadre d’une garantie par exemple, le risque assumé par l’État fait bénéficier l’entreprise d’un taux d’intérêt plus bas qu’en l’absence de garantie. Et en cas de non-remboursement, l’État supporte une perte qui constitue une aide d'État au sens des règles européennes. Dans le cadre du contrôle des aides d’État, la Commission européenne mobilise des méthodes techniques pour calculer l’équivalent subvention de ces différentes modalités. Pour appliquer ce calcul à l’ensemble des prêts, garanties et participations de l’État en France, il aurait fallu disposer des données individuelles des entreprises. En conséquence, les montants retenus ici correspondent aux seules aides dites d’État, estimées par la Commission européenne, auxquelles on a ajouté le coût de la garantie pour l’État, inscrit dans le PLF. Le montant de ces aides d’État en France s’élève ainsi à 17,3 milliards d’euros en équivalent subvention en 2022, dont 10,5 milliards de participations et autres interventions en fonds propres et 5,9 milliards de garanties. S’y ajoute 1,7 milliard d’euros qui représente le coût en 2023 de la garantie d’État pour les prêts non remboursés par les entreprises (montant déjà intégré aux dépenses budgétaires). Les aides de l'Europe et des collectivités locales Les entreprises bénéficient en outre d’aides en provenance de l’Europe et des collectivités locales. Les éléments disponibles, même s’ils ne permettent pas d’appréhender de manière exhaustive l’ensemble des aides, donnent une indication sur le volume et le poids relatif de ces acteurs publics dans les aides totales aux entreprises. Plus de 7 milliards d’euros en provenance des collectivités locales Pour déterminer le total des aides aux entreprises des collectivités locales, il serait nécessaire de disposer d’au moins quatre catégories de données financières : les aides budgétaires qui ciblent les entreprises ; les aides qui transitent par leurs opérateurs locaux (sociétés mixtes notamment) ; les aides fiscales en faveur des entreprises, notamment celles liées aux taux réduits ou aux exonérations de fiscalité locale ; et enfin les dépenses spécifiques d’accompagnement des entreprises. Dans la présente note, seules les données budgétaires des collectivités locales, hors opérateurs locaux, ont été répertoriées à partir des données pour l’année 2023 par la Direction générale des collectivités locales. Le montant représente donc le bas de la fourchette de leurs aides aux entreprises. Il s’agit des dépenses classées dans la catégorie « action économique », dont le montant s’élève à 7,1 milliards d’euros en 2023 (les régions en représentent 36 %, à égalité avec les groupements de communes). D’autres aides ne sont pas identifiées, comme la mise à disposition de terrains ou l’aménagement d’infrastructures publiques en faveur de l’installation des entreprises (pépinières d’entreprises, par exemple). Dans l’hypothèse où la part des 12 milliards d’euros de pertes de recettes de TVA compensées par l’État aux collectivités n’est pas prise en compte dans les aides de l’État (ce qui n’est pas le cas ici), il faudrait l’ajouter à ce total des aides versées par les collectivités. Plus de 10 milliards d’euros en provenance de l’Europe Les retours en France au titre des principales politiques communes pour l’ensemble des bénéficiaires s’élèvent à 16,5 milliards d’euros en 2023[32], dont 9,54 milliards au titre de la Politique agricole commune (PAC), 2,71 milliards au titre de la rubrique « compétitivité » et 2,28 milliards au titre de la cohésion sociale. Si la quasi-totalité des aides à l’agriculture, notamment via les fonds FEADER et FEAGA33, bénéficie aux entreprises agricoles, il n’a pas été possible d’identifier précisément la part dont bénéficient les entreprises au titre de tous les autres financements. Le montant de 10 milliards constitue donc ici le bas de la fourchette des aides aux entreprises en provenance de l’Europe. Récapitulatif : près de 112 milliards d'euros d'aides aux entreprises en 2023 Diversité des définitions, des périmètres et du mode même d’estimation des coûts pour les acteurs publics… Trancher le débat sur le montant total des aides aux entreprises est un exercice complexe et subjectif (voir Schéma 1). Cette note présente deux principaux périmètres, en considérant comme aides aux entreprises celles qui leur bénéficient en premier recours. Schéma 1 : Les aides aux entreprises en France en 2023 Transcription Fermer la transcription Source : HCSP Selon un premier périmètre, fondé sur la définition européenne des aides d’État, c’est-à-dire celles qui sont légales et autorisées par la Commission européenne, les aides en France s’élèvent à 45 milliards d’euros en 2022 (25 milliards hors mesures liées au Covid). Ce périmètre est très limitatif car il exclut de nombreuses formes de soutien. Avec un second périmètre, qui élargit les subventions, dépenses fiscales et aides financières prises en compte, le total des aides aux entreprises en France s’élève à près de 111,9 milliards d’euros. Ce total n’intègre pas 73,8 milliards d’exonérations de cotisations sociales, à l’exception de celles que la Commission européenne retient dans sa définition des aides d’État ciblées (soit 3,2 milliards, estimation 2022). Ce montant total pourrait encore être élargi car, outre les exonérations de cotisations sociales, quatre sources d’aides publiques n’y sont pas incluses, qui nécessiteraient une analyse approfondie. Les entreprises bénéficient des aides des collectivités locales (7 milliards d’euros) et des aides européennes (10 milliards), principalement via la politique agricole commune, mais les données sont trop peu détaillées pour être consolidées avec celles répertoriées dans le second périmètre. Des dépenses fiscales ont été « déclassées » par l’administration et font l’objet de débats, par exemple le régime mères-filles pour l’impôt sur les sociétés, dont le coût est estimé par l’administration à 29 milliards d’euros. Les exemptions d’assiette des cotisations sociales − sur l’épargne salariale par exemple − font aussi l’objet de débats sur leur qualification comme aides aux entreprises. Selon le périmètre retenu, le coût est estimé entre 5 milliards et 14 milliards d’euros. Conclusion En mobilisant les aides aux entreprises, l’État et les autres acteurs publics visent des objectifs de politique publique. Il s’agit notamment d’inciter des entreprises à investir davantage dans la R & D (crédit d’impôt recherche, crédit d’impôt innovation), la production d’énergies renouvelables et les activités de rénovation énergétique, à recruter davantage les jeunes et à contribuer à les former (aides à l’apprentissage, exonérations de charges sociales), à améliorer la situation pour les emplois non qualifiés (aides au recrutement des chômeurs éloignés de l’emploi, exonérations de cotisations sociales), etc. Certains dispositifs sont ciblés sur des activités économiques bien spécifiques, comme des réductions de TVA sur la restauration ou des exonérations ciblées sur différentes sources d’énergie. D’autres aides visent la continuité territoriale des services publics ou le développement des infrastructures publiques (par exemple les compensations pour charges de service public de La Poste et de la SNCF). Disposer d’une estimation de l’ensemble de ces aides et d’une analyse de leurs caractéristiques est essentiel pour améliorer l’efficacité de l’action publique. Il apparaît donc nécessaire de fixer une définition des aides aux entreprises et d’en donner le montant à périmètre constant chaque année. Ces éléments stables devraient être présentés en annexe conjointe du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Au niveau européen, une réflexion sur le périmètre des aides aux entreprises serait aussi à engager. En effet, la publication annuelle par la Commission des seules aides en conformité avec les règles juridiques européennes présente des limites. Elle ne permet pas notamment de mener des comparaisons pertinentes entre les pays membres sur un périmètre large. L’enjeu est aussi celui de la multiplicité des dispositifs, dont beaucoup ne sont pas évalués. Il en résulte un problème d’information et de clarté, pour les acteurs privés comme pour les acteurs publics. Du point de vue des acteurs privés, cette multiplicité des dispositifs risque d’avantager les entreprises − souvent les plus grandes − qui investissent dans la maîtrise de la complexité administrative, des techniques d’optimisation fiscale et des évolutions liées à l’instabilité des politiques publiques. En outre, les gains ne sont pas toujours lisibles pour les entreprises du fait notamment de la divergence entre les taux nominaux des prélèvements, comme l’impôt sur les sociétés et les cotisations sociales, et les taux qui leur sont effectivement appliqués. Pour les acteurs publics, disposer d’autant d’instruments que l’on poursuit d’objectifs est une règle usuelle de politique économique. Or, la multiplication des moyens visant les mêmes objectifs ne permet pas toujours d’avoir une vue panoramique. Seules quelques annexes budgétaires se livrent à un tel exercice, comme les « jaunes » budgétaires ou les documents de politique transversale. L’enjeu est donc celui de l’efficacité de la dépense publique car le foisonnement des dispositifs implique aussi leur redondance, voire un risque de cumul d’aides par les entreprises. Rendre lisible et évaluer régulièrement les aides aux entreprises constitue enfin un enjeu de débat démocratique, qu’il conviendrait d’éclairer sur l’intérêt de ces aides et sur leur efficacité au regard des objectifs politiques et des moyens publics mobilisés. Recensement complet sur un périmètre figé, définition claire, dispositifs stables et évalués systématiquement (tous les trois à cinq ans) : là résiderait une amélioration, démocratique et efficace, des aides aux entreprises. [1] Pour les bénéfices inférieurs à 42 500 euros. [2] À l’extrême, on pourrait considérer que toute dépense publique bénéficie in fine directement ou indirectement aux entreprises. Et vice versa aux ménages, via les emplois et les revenus engendrés. [3] IGF/IGAS/IGA (2007), Mission d’audit de modernisation. Rapport sur les aides publiques aux entreprises, établi par Alain Cordier, Annie Fouquet, Michel Casteigts, Olivier Ferrand et Jérôme Letier, janvier. [4] L’article 107 § 1 du TFUE stipule que « sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». [5] Commission européenne (2016), « Communication relative à la notion d’ “aide d’État” mentionnée à l’article 107 § 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », 2016/C 262/01, JOUE C 262 du 19 juillet 2016. [6] Ministère de l’Économie et des Finances (2020), Vade-mecum des aides d’État. Édition de 2019, Direction des affaires juridiques. [7] OCDE (2010), Les dépenses fiscales dans les pays de l’OCDE, Éditions OCDE, Paris. [8] L’OCDE a produit dans le cadre du projet QuIS une analyse de neuf pays volontaires, dont la France. [9] Conseil des prélèvements obligatoires (2010), Entreprises et niches fiscales et sociales : des dispositifs dérogatoires nombreux, rapport, octobre. [10] Voir Tableau 1 page suivante. [11] France Stratégie (2020), Les politiques industrielles en France : évolutions et comparaisons internationales, rapport, voir chapitres 4 et 5. [12] IRES/CGT/CLERSÉ (2022), Un capitalisme sous perfusion : mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises, UMR 8019, université de Lille, octobre. [13] Inspection générale des finances (2024), Revue de dépenses : les aides aux entreprises, Marc Auberger, Claire Bayé, Louise Anfray et Ilyes Bennaceur, mars. [14] Sénat (2025), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, par Olivier Rietmann et Fabien Gay, rapport n° 808, juillet. [15] Conseil des prélèvements obligatoires (2010), Entreprises et niches fiscales et sociales…, op. cit. [16] IGF (2013), Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité, rapport établi par Jean-Philippe Demaël, Philippe Jurgensen et Jean-Jacques Queyranne, n° 2013-M-016-02, juin. [17] Circulaire du Premier ministre du 5 février 2019 : « Application des règles européennes de concurrence relatives aux aides publiques aux activités économiques ». [18] Commission européenne (2024), State Aid Scoreboard 2023, avril. [19] Soit un total de 78,84 milliards d’euros en 2012 et 148,33 milliards en 2019, à prix constants. En revanche, certains pays européens ont connu une baisse de leurs aides, de -16 % en Finlande, -15 % au Portugal et -7 % en Autriche. [20] Voir l’Annexe disponible en ligne. [21] PLF, Évaluation des voies et moyens. Annexe au projet de loi de finances pour 2025, tome II, Dépenses fiscales. [22] Cour des comptes (2011), Rapport public annuel 2011, février. [23] Inspection générale des finances (2024), Revue de dépenses : les aides aux entreprises, op. cit. [24] Taxe affectée au financement de l’amélioration de l’espèce équine et de la promotion de l’élevage, de la formation dans le secteur des courses et de l’élevage chevalin ainsi que du développement rural. [25] Sénat (2011), Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les allègements de prélèvements obligatoires, par Philippe Marini, rapport n° 553, mai. [26] Cour des comptes (2011), Rapport public annuel 2011, op. cit. [27] Cour des comptes (2023), Le budget de l’Etat en 2023. Résultats et gestion, avril. [28] Conseil des prélèvements obligatoires (2010), Entreprises et niches fiscales et sociales…, op. cit. [29] Numéros des dépenses fiscales 820201, 820202 et 820203. [30] Cour des comptes (2024), Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, mai. Voir le chapitre IV « Les niches sociales des compléments de salaire : un nécessaire rapprochement du droit commun ». [31] Inspection générale des finances (2024), Revue de dépenses : les aides aux entreprises, op. cit. [32] Jaune 2025 « Relations financières avec l’Union européenne », Annexe au PLF pour 2025. [33] FEADER = Fonds européen agricole pour le développement rural. FEAGA = Fonds européen agricole de garantie. Téléchargement Les aides aux entreprises en France : de quoi parle-t-on ? Télécharger l'édito de Clément Beaune PDF - 219.3 Ko Télécharger la note d'analyse 157 PDF - 614.8 Ko Télécharger l'annexe de la note d'analyse 157 PDF - 216.9 Ko Thèmes Compétitivité Entreprises Finances publiques Publié par Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan Auteurs Mohamed Harfi Citer ou exporter Citer cette publication Fermer Citer cette publication APA Harfi, M. (2025). Les aides aux entreprises en France : de quoi parle-t-on ? (La Note d'analyse N°157, 20 pages). Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan. Copier MLA Harfi, Mohamed. Les aides aux entreprises en France : de quoi parle-t-on ? La Note d'analyse N°157, Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan, july 2025, 20 pages. Copier ISO 690 HARFI, Mohamed. Les aides aux entreprises en France : de quoi parle-t-on ? La Note d'analyse N°157. Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan, juillet 2025. 20 p. Copier Autres options d'export harfi_2025_aides_entreprises.ris Pour aller plus loin Les politiques industrielles en France - Évolutions et comparaisons internationales À l’heure où la crise sanitaire met en lumière nos difficultés d’approvisionnement, France Stratégie publie un diagnostic approfon... Industrie Entreprises Action publique Rapport 19 novembre 2020
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