La Collection du Plan

« Too big to shift » : pour une régulation des firmes systémiques de la transition écologique

Le Plan est depuis toujours un carrefour. Il publie ses propres travaux d’éclairage et doit aussi relayer des idées extérieures, librement portées par leurs auteurs. C’est l’esprit de la Collection du Plan, que nous lançons avec un sujet d’actualité, essentiel face à la crise démocratique : les modes de scrutin, la question de la proportionnelle, loin des clichés et des idées toutes faites.

Clément Beaune, Haut-commissaire à la Stratégie et au Plan

Publié le : 21/07/2025

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7 minutes

« Arrêtez d’emmerder les Français ! » La fameuse phrase attribuée au président Pompidou pour tancer l’administration et sa fâcheuse tendance à multiplier les lois et règlements n’a pas pris une ride. Elle a même redoublé d’intensité dans le contexte du dérèglement climatique et du « backlash écologique » actuel. En Allemagne, les dénonciateurs de la pression normative évoquent une « Verbotskultur », une culture de l’interdiction, tandis qu’en Italie c’est l’expression « sacrifici per l’ambiente », sacrifices au nom de l’environnement, qui revient chez les détracteurs. »

Sébastien Soriano, dirigeant public

De fait, chaque question que soulève la transition écologique semble condamnée à être ramenée à un débat pour ou contre telle ou telle interdiction. Faut-il interdire les néonicotinoïdes ? les voitures polluantes dans les centres-villes ? les forfaits internet illimités ? les sapins de Noël ? Et lorsqu’il ne s’agit pas d’interdire, c’est une nouvelle taxe, un nouveau bonus/malus qui sont mis en débat. L’écologie ouvre certes des choix d’ampleur, des choix que l’on peut appeler de société, voire de civilisation. Et choisir c’est souvent renoncer. Mais c’est comme si l’on oubliait de poser une question pourtant fondamentale : sur qui ces renoncements doivent-ils porter ? Dans une démocratie, la question du partage de l’effort devrait pourtant être première à toutes les autres !

Cette note propose une clarification radicale : concentrer la régulation sur une poignée de très grandes entreprises, sur quelques dizaines de mégafirmes dont les modèles d’affaires traditionnels contribuent au premier chef, de par leur taille, aux problèmes climatiques et environnementaux de la planète et qui ont les capacités d'y remédier ; et laisser en paix les simples citoyens, qui sont pour l’essentiel dépendants de ces modèles dominants. À l’automobiliste, au patron de PME ou d’exploitation agricole familiale, au maire du village, au propriétaire d’une passoire thermique, il faut donner du pouvoir, et non en retirer ! Du pouvoir d’agir et de se projeter dans la transition. Sortons-nous de la tête le modèle universaliste de la norme : Bayer-Monsanto et le fermier sarthois n’ont pas la même responsabilité vis-à-vis de la planète. L’un est un acteur avec un extraordinaire pouvoir de marché, l’autre subit un modèle qu’il n’a pas choisi. L’un doit être régulé avec fermeté, l’autre accompagné.

Si l’on se réfère par exemple aux émissions de CO2, Oxfam France publiait en 2021 un classement des entreprises du CAC 40 montrant que les dix groupes français les plus émetteurs totalisaient plus de 4 milliards de tCO2eq à l’échelle mondiale soit dix fois les émissions totales en France [1]. Les secteurs de la banque, de l’énergie, de l’industrie lourde, des transports et du BTP sont particulièrement concernés. On trouve là des entreprises comme Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole, Total Énergies, ArcelorMittal, Lafarge, Airbus, Engie... Ces chiffres mériteraient, s’agissant de groupes mondiaux, d’être déclinés à l’échelle française et par ailleurs complétés de l’impact de ces entreprises sur les ressources, les milieux naturels et la biodiversité. Mais ils donnent la mesure de l’enjeu. 

Apprenons aussi de l’histoire du capitalisme. La règlementation bancaire a été incapable d’enrayer la course folle aux produits dérivés qui a provoqué la crise financière de 2008 et plongé des centaines de millions de personnes dans la précarité. La réponse ? La désignation d’une vingtaine de « banques systémiques » soumises à un régime désormais ultra-renforcé de contrôle par les États. C’est dans cette même voie que l’Europe s’engage enfin en matière de numérique avec le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) [2]. Avec les concepts de « contrôleur d’accès » et de « très grande plateforme en ligne », on décuple la responsabilité d’une quinzaine de géants, en espérant qu’il ne soit pas trop tard pour remettre X et TikTok à leur place et juguler la prédation des GAFA. Au lieu de nous demander d’accepter les cookies, qu’on mette des bornes aux magnats d’un système qui pourrait bien dégénérer en « capitalisme de surveillance » [3] !

Après les « too big to fail » de la finance, après les « too big to care » de la Big Tech, cette note propose de s’atteler aux « too big to shift » de la transition écologique.

De la justice climatique à la régulation systémique

Télécharger l'intégralité de la contribution de Sébastien Soriano 

[1] Oxfam France (2021), Climat : CAC degrés de trop. Le modèle insoutenable des entreprises françaises, février.

[2] Règlement européen sur les marchés numériques (DMA) du 14 septembre 2022 et règlement sur les services numériques (DSA) du 19 octobre 2022.

[3] Zuboff S. (2020), L’âge du capitalisme de surveillance, Zulma.

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Soriano, S. (2025). « Too big to shift » : pour une régulation des firmes systémiques de la transition écologique (La Collection du Plan N°4, 8 pages). Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan.
MLA
Soriano, Sébastien. « Too big to shift » : pour une régulation des firmes systémiques de la transition écologique. La Collection du Plan N°4, Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan, july 2025, 8 pages.
ISO 690
SORIANO, Sébastien. « Too big to shift » : pour une régulation des firmes systémiques de la transition écologique. La Collection du Plan N°4. Haut-commissariat à la Stratégie et au Plan, juillet 2025. 8 p.

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